MuraTextes
SEPULTURE / AVEC SES VETEMENTS / LA FONTAINE DE SANG / L'HEAUTONTIMOROUMENOS / L'HORLOGE / LE GUIGNON / MADRIGAL TRISTE /
LA CLOCHE FELEE / L'EXAMEN DE MINUIT / BIEN LOIN D'ICI / JE N'AI PAS OUBLIE / A UNE MENDIANTE ROUSSE / REVERSIBILITE / PETITE
Charles et Léo
SEPULTURE
Si par une nuit lourde et sombre
Un bon chrétien, par charité,
Derrière quelque vieux décombre
Enterre votre corps vanté,
À l'heure où les chastes étoiles
Ferment leurs yeux appesantis,
L'araignée y fera ses toiles,
Et la vipère ses petits ;
Vous entendrez toute l'année
Sur votre tête condamnée
Les cris lamentables des loups
Et des sorcières faméliques,
Les ébats des vieillards lubriques
Et les complots des noirs filous.
AVEC SES VETEMENTS
Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche on croirait qu’elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.
Comme le sable morne et l’azur des déserts,
Insensibles tous deux à l’humaine souffrance
Comme les longs réseaux de la houle des mers
Elle se développe avec indifférence.
Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature étrange et symbolique
Où l’ange inviolé se mêle au sphinx antique,
Où tout n’est qu’or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.
LA FONTAINE DE SANG
Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu’une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.
A travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s’en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.
J’ai demandé souvent à des vins captieux
D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine !
J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux ;
Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !
L'HEAUTONTIMOROUMENOS
A J.G.F.
Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher
Et je ferai de ta paupière,
Pour abreuver mon Saharah
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d’espérance
Sur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon cœur qu’ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge !
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord
Elle est dans ma voix, la criarde !
C’est tout mon sang ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon cœur le vampire,
– Un de ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés
Et qui ne peuvent plus sourire !
L'HORLOGE
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
LE GUIGNON
Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage !
Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage,
L’Art est long et le Temps est court.
Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon cœur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.
– Maint joyau dort enseveli
Dans les ténèbres et l’oubli,
Bien loin des pioches et des sondes ;
Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes.
MADRIGAL TRISTE
Que m'importe que tu sois sage ?
Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage ;
L'orage rajeunit les fleurs.
Je t'aime surtout quand la joie
S'enfuit de ton front terrassé ;
Quand ton cœur dans l'horreur se noie ;
Quand sur ton présent se déploie
Le nuage affreux du passé.
Je t'aime quand ton grand œil verse
Une eau chaude comme le sang ;
Quand, malgré ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Comme un râle d'agonisant.
J'aspire, volupté divine !
Hymne profond, délicieux !
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton cœur s'illumine
Des perles que versent tes yeux !
Je sais que ton cœur, qui regorge
De vieux amours déracinés,
Flamboie encor comme une forge,
Et que tu couves sous ta gorge
Un peu de l'orgueil des damnés ;
Mais tant, ma chère, que tes rêves
N'auront pas reflété l'Enfer,
Et qu'en un cauchemar sans trêves,
Songeant de poisons et de glaives,
Eprise de poudre et de fer,
N'ouvrant à chacun qu'avec crainte,
Déchiffrant le malheur partout,
Te convulsant quand l'heure tinte,
Tu n'auras pas senti l'étreinte
De l'irrésistible Dégoût,
Tu ne pourras, esclave reine
Qui ne m'aimes qu'avec effroi,
Dans l'horreur de la nuit malsaine,
Me dire, l'âme de cris pleine :
" Je suis ton égale, Ô mon Roi ! "
LA CLOCHE FELEE
II est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
II arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie
Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts
Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts.
L'EXAMEN DE MINUIT
La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
À nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s’enfuit :
— Aujourd’hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d’un hérétique.
Nous avons blasphémé Jésus,
Des Dieux le plus incontestable !
Comme un parasite à la table
De quelque monstrueux Crésus,
Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute ;
Contristé, servile bourreau,
Le faible qu’à tort on méprise ;
Salué l’énorme bêtise,
La Bêtise au front de taureau ;
Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion,
Et de la putréfaction
Béni la blafarde lumière.
Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le délire,
Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de déployer
L’ivresse des choses funèbres,
Bu sans soif et mangé sans faim !...
— Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !
BIEN LOIN D'ICI
C’est ici la case sacrée
Où cette fille très-parée,
Tranquille et toujours préparée,
D’une main éventant ses seins,
Et son coude dans les coussins,
Écoute pleurer les bassins :
C’est la chambre de Dorothée.
— La brise et l’eau chantent au loin
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée.
Du haut en bas, avec grand soin,
Sa peau délicate est frottée
D’huile odorante et de benjoin.
— Des fleurs se pâment dans un coin.
JE N'AI PAS OUBLIE
Je n’ai pas oublié, voisine de la ville,
Notre blanche maison, petite mais tranquille ;
Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus
Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,
Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,
Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe
Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux,
Contempler nos dîners longs et silencieux,
Répandant largement ses beaux reflets de cierge
Sur la nappe frugale et les rideaux de serge.
A UNE MENDIANTE ROUSSE
Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,
Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
A sa douceur.
Tu portes plus galamment
Qu’une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.
Au lieu d’un haillon trop court,
Qu’un superbe habit de cour
Traîne à plis bruyants et longs
Sur tes talons ;
En place de bas troués
Que pour les yeux des roués
Sur ta jambe un poignard d’or
Reluise encor ;
Que des nœuds mal attachés
Dévoilent pour nos péchés
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux ;
Que pour te déshabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent à coups mutins
Les doigts lutins,
Perles de la plus belle eau,
Sonnets de maître Belleau
Par tes galants mis aux fers
Sans cesse offerts,
Valetaille de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
Sous l’escalier,
Maint page épris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Epieraient pour le déduit
Ton frais réduit !
Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lis
Et rangerais sous tes lois
Plus d’un Valois !
– Cependant tu vas gueusant
Quelque vieux débris gisant
Au seuil de quelque Véfour
De carrefour ;
Tu vas lorgnant en dessous
Des bijoux de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh ! Pardon !
Te faire don.
Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudité,
O ma beauté !
REVERSIBILITE
(dans la version DVD)
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine ?
Ange plein de bonté connaissez-vous la haine ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide !
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté ;
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !
PETITE
(dans la version DVD)
(reprise de Léo Ferré)
Tu as des yeux d'enfant malade
Et moi j'ai des yeux de marlou
Quand tu es sortie de l'école
Tu m'as lancé tes petits yeux doux
Et regardé pas n'importe où
Et regardé pas n'importe où
Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai le verbe "aimer"
Qui se décline doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme le jour qui va baissant
Comme le jour qui va baissant
Tu as le col d'un enfant cygne
Et moi j'ai des mains de velours
Et quand tu marchais dans la cour
Tu t'apprenais à me faire signe
Comme si tu avais eu vingt ans
Comme si tu avais eu vingt ans
Ah! petite Ah! petite
Je t'apprendrai à tant mourir
A t'en aller tout doucement
Loin des jaloux et des tourments
Comme je jour qui va mourant
Comme je jour qui va mourant
Tu as le buste des outrages
Et moi je me prends à rêver
Pour ne pas fendre ton corsage
Qui ne recouvre qu'une idée
Une idée qui va son chemin
Une idée qui va son chemin
Ah! petite Ah! petite
Tu peux reprendre ton cerceau
Et t'en aller tout doucement
Loin de moi et de mes tourments
Tu reviendras me voir bientôt
Tu reviendras me voir bientôt
Le jour où ça ne m'ira plus
Quand sous ta robe il n'y aura plus
Le Code pénal