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    SEPULTURE

    Si par une nuit lourde et sombre
   Un bon chrétien, par charité,
   Derrière quelque vieux décombre
   Enterre votre corps vanté,
  
   À l'heure où les chastes étoiles
   Ferment leurs yeux appesantis,
   L'araignée y fera ses toiles,
   Et la vipère ses petits ;
  
   Vous entendrez toute l'année
   Sur votre tête condamnée
   Les cris lamentables des loups
  
   Et des sorcières faméliques,
   Les ébats des vieillards lubriques
   Et les complots des noirs filous.

    AVEC SES VETEMENTS

 

    Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,

    Même quand elle marche on croirait qu’elle danse,

    Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés

    Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

   

    Comme le sable morne et l’azur des déserts,

    Insensibles tous deux à l’humaine souffrance

    Comme les longs réseaux de la houle des mers

    Elle se développe avec indifférence.

   

    Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,

    Et dans cette nature étrange et symbolique

    Où l’ange inviolé se mêle au sphinx antique,

   

    Où tout n’est qu’or, acier, lumière et diamants,

    Resplendit à jamais, comme un astre inutile,

    La froide majesté de la femme stérile.

 

    LA FONTAINE DE SANG

    Il me semble parfois que mon sang coule à flots,

    Ainsi qu’une fontaine aux rythmiques sanglots.

    Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,

    Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

 

    A travers la cité, comme dans un champ clos,

    Il s’en va, transformant les pavés en îlots,

    Désaltérant la soif de chaque créature,

    Et partout colorant en rouge la nature.

 

    J’ai demandé souvent à des vins captieux

    D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ;

    Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine !

 

    J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux ;

    Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles

    Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !

 

    L'HEAUTONTIMOROUMENOS

    A J.G.F.

 

    Je te frapperai sans colère

    Et sans haine, comme un boucher,

    Comme Moïse le rocher

    Et je ferai de ta paupière,

 

    Pour abreuver mon Saharah

    Jaillir les eaux de la souffrance.

    Mon désir gonflé d’espérance

    Sur tes pleurs salés nagera

 

    Comme un vaisseau qui prend le large,

    Et dans mon cœur qu’ils soûleront

    Tes chers sanglots retentiront

    Comme un tambour qui bat la charge !

 

    Ne suis-je pas un faux accord

    Dans la divine symphonie,

    Grâce à la vorace Ironie

    Qui me secoue et qui me mord

 

    Elle est dans ma voix, la criarde !

    C’est tout mon sang ce poison noir !

    Je suis le sinistre miroir

    Où la mégère se regarde.

 

    Je suis la plaie et le couteau !

    Je suis le soufflet et la joue !

    Je suis les membres et la roue,

    Et la victime et le bourreau !

 

    Je suis de mon cœur le vampire,

    – Un de ces grands abandonnés

    Au rire éternel condamnés

    Et qui ne peuvent plus sourire !

 

    L'HORLOGE

    Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,

    Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !

    Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi

    Se planteront bientôt comme dans une cible ;

 

    Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon

    Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;

    Chaque instant te dévore un morceau du délice

    A chaque homme accordé pour toute sa saison.

 

    Trois mille six cents fois par heure, la Seconde

    Chuchote Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voix

    D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,

    Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

 

    Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor !

    (Mon gosier de métal parle toutes les langues.)

    Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues

    Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !

 

    Souviens-toi que le Temps est un joueur avide

    Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.

    Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !

    Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

 

    Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,

    Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,

    Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),

    Où tout te dira Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

 

    LE GUIGNON

    Pour soulever un poids si lourd,

    Sisyphe, il faudrait ton courage !

    Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage,

    L’Art est long et le Temps est court.

 

    Loin des sépultures célèbres,

    Vers un cimetière isolé,

    Mon cœur, comme un tambour voilé,

    Va battant des marches funèbres.

 

    – Maint joyau dort enseveli

    Dans les ténèbres et l’oubli,

    Bien loin des pioches et des sondes ;

 

    Mainte fleur épanche à regret

    Son parfum doux comme un secret

    Dans les solitudes profondes.

 

 

    MADRIGAL TRISTE

    Que m'importe que tu sois sage ?
   Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
   Ajoutent un charme au visage,
   Comme le fleuve au paysage ;
   L'orage rajeunit les fleurs.

   Je t'aime surtout quand la joie
   S'enfuit de ton front terrassé ;
   Quand ton cœur dans l'horreur se noie ;
   Quand sur ton présent se déploie    
   Le nuage affreux du passé.

   Je t'aime quand ton grand œil verse
   Une eau chaude comme le sang ;
   Quand, malgré ma main qui te berce,
   Ton angoisse, trop lourde, perce
   Comme un râle d'agonisant.

   J'aspire, volupté divine !
   Hymne profond, délicieux !
   Tous les sanglots de ta poitrine,
   Et crois que ton cœur s'illumine
   Des perles que versent tes yeux !

    Je sais que ton cœur, qui regorge
   De vieux amours déracinés,
   Flamboie encor comme une forge,
   Et que tu couves sous ta gorge
   Un peu de l'orgueil des damnés ;

   Mais tant, ma chère, que tes rêves
   N'auront pas reflété l'Enfer,
   Et qu'en un cauchemar sans trêves,
   Songeant de poisons et de glaives,
   Eprise de poudre et de fer,

   N'ouvrant à chacun qu'avec crainte,
   Déchiffrant le malheur partout,
   Te convulsant quand l'heure tinte,
   Tu n'auras pas senti l'étreinte
   De l'irrésistible Dégoût,

   Tu ne pourras, esclave reine
   Qui ne m'aimes qu'avec effroi,
   Dans l'horreur de la nuit malsaine,
   Me dire, l'âme de cris pleine :
   " Je suis ton égale, Ô mon Roi ! "

 

    LA CLOCHE FELEE

    II est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,

    D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,

    Les souvenirs lointains lentement s’élever

    Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

 

    Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux

    Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,

    Jette fidèlement son cri religieux,

    Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !

 

    Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis

    Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,

    II arrive souvent que sa voix affaiblie

 

    Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie

    Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts

    Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts.

 

 

    L'EXAMEN DE MINUIT

    La pendule, sonnant minuit,

    Ironiquement nous engage

    À nous rappeler quel usage

    Nous fîmes du jour qui s’enfuit :

    — Aujourd’hui, date fatidique,

    Vendredi, treize, nous avons,

    Malgré tout ce que nous savons,

    Mené le train d’un hérétique.

 

    Nous avons blasphémé Jésus,

    Des Dieux le plus incontestable !

    Comme un parasite à la table

    De quelque monstrueux Crésus,   

    Nous avons, pour plaire à la brute,

    Digne vassale des Démons,

    Insulté ce que nous aimons

    Et flatté ce qui nous rebute ;

 

    Contristé, servile bourreau,

    Le faible qu’à tort on méprise ;

    Salué l’énorme bêtise,

    La Bêtise au front de taureau ;

    Baisé la stupide Matière

    Avec grande dévotion,

    Et de la putréfaction

    Béni la blafarde lumière.

 

    Enfin, nous avons, pour noyer

    Le vertige dans le délire,

    Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,

    Dont la gloire est de déployer

    L’ivresse des choses funèbres,

    Bu sans soif et mangé sans faim !...

    — Vite soufflons la lampe, afin

    De nous cacher dans les ténèbres !

 

    BIEN LOIN D'ICI

 

    C’est ici la case sacrée

    Où cette fille très-parée,
   Tranquille et toujours préparée,
 
   D’une main éventant ses seins,
   Et son coude dans les coussins,
   Écoute pleurer les bassins :
 
   C’est la chambre de Dorothée.
   — La brise et l’eau chantent au loin
   Leur chanson de sanglots heurtée
   Pour bercer cette enfant gâtée.
 
   Du haut en bas, avec grand soin,
   Sa peau délicate est frottée
   D’huile odorante et de benjoin.
   — Des fleurs se pâment dans un coin.

 

    JE N'AI PAS OUBLIE

    Je n’ai pas oublié, voisine de la ville,

    Notre blanche maison, petite mais tranquille ;

    Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus

    Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,

    Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,

    Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe

    Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux,

    Contempler nos dîners longs et silencieux,

    Répandant largement ses beaux reflets de cierge

    Sur la nappe frugale et les rideaux de serge.

 

    A UNE MENDIANTE ROUSSE

    Blanche fille aux cheveux roux,

    Dont la robe par ses trous

    Laisse voir la pauvreté

    Et la beauté,

 

    Pour moi, poète chétif,

    Ton jeune corps maladif,

    Plein de taches de rousseur,

    A sa douceur.

 

    Tu portes plus galamment

    Qu’une reine de roman

    Ses cothurnes de velours

    Tes sabots lourds.

 

    Au lieu d’un haillon trop court,

    Qu’un superbe habit de cour

    Traîne à plis bruyants et longs

    Sur tes talons ;

 

    En place de bas troués

    Que pour les yeux des roués

    Sur ta jambe un poignard d’or

    Reluise encor ;

 

    Que des nœuds mal attachés

    Dévoilent pour nos péchés

    Tes deux beaux seins, radieux

    Comme des yeux ;

 

    Que pour te déshabiller

    Tes bras se fassent prier

    Et chassent à coups mutins

    Les doigts lutins,

 

    Perles de la plus belle eau,

    Sonnets de maître Belleau

    Par tes galants mis aux fers

    Sans cesse offerts,

 

    Valetaille de rimeurs

    Te dédiant leurs primeurs

    Et contemplant ton soulier

    Sous l’escalier,

 

    Maint page épris du hasard,

    Maint seigneur et maint Ronsard

    Epieraient pour le déduit

    Ton frais réduit !

   

    Tu compterais dans tes lits

    Plus de baisers que de lis

    Et rangerais sous tes lois

    Plus d’un Valois !

  

    – Cependant tu vas gueusant

    Quelque vieux débris gisant

    Au seuil de quelque Véfour

    De carrefour ;

 

    Tu vas lorgnant en dessous

    Des bijoux de vingt-neuf sous

    Dont je ne puis, oh ! Pardon !

    Te faire don.

 

    Va donc, sans autre ornement,

    Parfum, perles, diamant,

    Que ta maigre nudité,

    O ma beauté !

 


    REVERSIBILITE

    (dans la version DVD)

    Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,

    La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,

    Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits

    Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ?

    Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ?

 

    Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,

    Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,

    Quand la Vengeance bat son infernal rappel,

    Et de nos facultés se fait le capitaine ?

    Ange plein de bonté connaissez-vous la haine ?

 

    Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,

    Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,

    Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,

    Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?

    Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?

 

    Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,

    Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment

    De lire la secrète horreur du dévouement

    Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide !

    Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?

 

    Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,

    David mourant aurait demandé la santé

    Aux émanations de ton corps enchanté ;

    Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,

    Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !

 

 

    PETITE

    (dans la version DVD) 

    (reprise de Léo Ferré)

    Tu as des yeux d'enfant malade
   Et moi j'ai des yeux de marlou
   Quand tu es sortie de l'école
   Tu m'as lancé tes petits yeux doux
   Et regardé pas n'importe où
   Et regardé pas n'importe où

   Ah! petite Ah! petite
   Je t'apprendrai le verbe "aimer"
   Qui se décline doucement
   Loin des jaloux et des tourments
   Comme le jour qui va baissant
   Comme le jour qui va baissant

   Tu as le col d'un enfant cygne
   Et moi j'ai des mains de velours
   Et quand tu marchais dans la cour
   Tu t'apprenais à me faire signe
   Comme si tu avais eu vingt ans
   Comme si tu avais eu vingt ans

   Ah! petite Ah! petite
   Je t'apprendrai à tant mourir
   A t'en aller tout doucement
   Loin des jaloux et des tourments
   Comme je jour qui va mourant
   Comme je jour qui va mourant

   Tu as le buste des outrages
   Et moi je me prends à rêver
   Pour ne pas fendre ton corsage
   Qui ne recouvre qu'une idée
   Une idée qui va son chemin
   Une idée qui va son chemin

   Ah! petite Ah! petite
   Tu peux reprendre ton cerceau
   Et t'en aller tout doucement
   Loin de moi et de mes tourments
   Tu reviendras me voir bientôt
   Tu reviendras me voir bientôt

   Le jour où ça ne m'ira plus
   Quand sous ta robe il n'y aura plus
   Le Code pénal

 

 

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