MuraTextes
JE VOUS ATTENDAIS / SOYEZ INEXORABLE / INQUIETUDE / LES CARROSSES / CONTRE L'AMOUR / MAUDIT TALENT / ODE A CLIMENE / LES SONGES, LES ATOMES / DE ROSE ALORS NE RESTE QUE L'EPINE / INFLAMMABLE / ENTRE DEUX DRAPS / BAGATELLES / LES ATTRAITS / TAISEZ-VOUS / BOBO / SINCERE LANGAGE / BYE BYE
Madame Deshoulières
Textes Madame Deshoulières (1638-1694). Adaptation : JLM Bergheaud
sauf titres 1, 4, 8 & 17 : JLM Bergheaud
1/ JE VOUS ATTENDAIS
Mme Deshoulières - Ah, vous voilà.
Lui - Je vous attendais.
Elle - Cent vingt mille jours que je suis morte, mon ami.
Quand on a su bien vivre, on a toujours assez vécu.
2/ SOYEZ INEXORABLE
Soyez inexorable
L'amour est inévitable...
Un amant bien traité se rend insupportable ;
Il néglige l'objet dont son coeur est charmé ;
De tous les petits soins il devient incapable :
Un amant sûr d'être aimé
Cesse toujours d'être aimable.
Soyez inexorable
L'amour est inévitable...
S'il faut pour un berger brûler d'un feu semblable
A celui dont son coeur nous paraît consumé,
Par de feintes rigueurs rendons-le misérable :
Un amant sûr d'être aimé
Cesse toujours d'être aimable.
Soyez inexorable
L'amour est inévitable...
Elle - Pourquoi du plaisir d'aimer faut-il faire une affaire ?
Quels bergers en font autant dans l'ingrat siècle où nous sommes ?
Soyez inexorable
L'amour est inévitable...
3/ INQUIETUDE
Ah ! Que j'ai de mouvements qui m'étaient inconnus !
Ah ! Que je sens d'inquiétude !
Que j'ai de mouvements qui m'étaient inconnus !
Mes tranquilles plaisirs, qu'êtes-vous devenus ?
Je cherche en vain la solitude.
D'où viennent ces chagrins, ces mortelles langueurs ?
Qu'est-ce qui fait couler mes pleurs
Avec tant d'amertume et tant de violence ?
De tout ce que je fais mon coeur n'est point content.
Hélas ! cruel amour que je méprise tant,
Ces maux ne sont-ils pas l'effet de ta vengeance ?
4/ LES CARROSSES
Elle - Que savez-vous du soleil ?
Elle - Pourquoi l'esprit se met-il au chagrin ?
Lui - Tout dans le cerveau madame...
Dix milliards de carrosses, chaque seconde,
Dix mille idées dans chaque carrosse...
5/ CONTRE L'AMOUR
Contre l'amour, voulez-vous défendre ?
Empêchez-vous de voir et d'entendre
Gens dont le coeur s'explique avec esprit.
Il en est peu de ce genre maudit,
Mais trop encore pour mettre un coeur en cendres.
Il en est peu de ce genre maudit.
Mais trop encore pour mettre un coeur en cendres,
Il en est peu de ce genre maudit.
Quand une fois il leur plaît de nous rendre
D'amoureux soins, qu'ils prennent un air tendre,
On lit en vain tout ce qu'Ovide écrit
Contre l'amour
De la raison il ne faut rien attendre ?
Trop de malheurs n'ont su que trop apprendre
Qu'elle n'est rien dès que le coeur agit.
La seule fuite, Iris, nous garantit ;
C'est le parti le plus utile à prendre
Contre l'amour.
C'est le parti le plus utile à prendre
Contre l'amour.
Elle - Quelles fausses douceurs, ce doit être.
6/ MAUDIT TALENT
Mais, hélas ! de son sort personne n'est le maître,
Le penchant de nos coeurs est toujours violent.
J'ai su faire des vers avant que de connaître
Les chagrins attachés à ce maudit talent que je hais,
Croyez-en mes conseils ; ne l'acquérez jamais.
7/ ODE A CLIMENE
Ne pourra-t-on vous contraindre
A quitter de tristes lieux ?
Faudra-t-il toujours se plaindre
De ne point voir vos beaux yeux ?
Encore quand les fleurs nouvelles
Naissent partout sous les pas,
Quand toutes les nuits sont belles,
La campagne a des appas.
Mais quand l'hiver la désole,
Qu'on ne peut se promener,
Climène, il faut être folle
Pour ne pas l'abandonner.
De ce qui vous y peut plaire
Daignez nous entretenir :
Je ne vois qu'une chimère
Qui vous y peut retenir.
Oui, j'ai deviné sans doute
D'où vient un si long séjour :
Votre jeune coeur redoute
Un mal qu'on appelle amour.
Vous croyez qu'on ne le gagne
Qu'au milieu des jeux, des rires :
Il se prend à la campagne,
Comme il se prend à Paris.
On fait bien quand on évite
Une tendre passion ;
Mais, hélas ! en est-on quitte
En fuyant l'occasion ?
Non, c'est en vain qu'on s'assure
Contre ce qu'on peut prévoir :
Une bizarre aventure
Met un coeur sous son pouvoir.
Cette solitude affreuse
Où vous passez vos beaux jours
Est souvent plus dangereuse
Que les plus superbes cours.
Votre désert est sauvage :
Dans un plus sauvage encore
Angélique fière et sage
Rencontra le beau Médor.
Quittez donc des champs stériles,
Pour vous garder impuissants :
Venez de feux inutiles
Faire brûler mille amants.
Ne redoutez point le piège
Qu'ils tendront à votre coeur :
De tous les forts qu'on assiège
On n'est pas toujours vainqueur.
La sagesse la plus frêle
Avec le plus beau berger,
Si le destin ne s'en mêle,
Ne court pas un grand danger.
Vous ne voudrez pas en croire
Tout ce qu'on vous en dira ;
Mais écoutez une histoire
Qui vous persuadera.
J'allais cacher ma tristesse
Dans ces aimables déserts,
Où pour sa tendre maîtresse
Desportes faisait des vers.
Je m'étais assise à peine
Dans le plus sombre du bois,
Quand j'ouïs du beau Philène
Et les soupirs et la voix.
Seul aux pieds d'une bergère
Qui riait de son souci,
Cet amant tendre et sincère
Tout en pleurs parlait ainsi :
"Avec quelle indifférence
Passez-vous vos plus beaux jours !
Iris, dans cette indolence
Demeurerez-vous toujours ?
Non, vous deviendrez sensible :
Ce coeur, ce superbe coeur,
A l'amour inaccessible
Sentira sa vive ardeur.
Quelqu'un est né pour vous plaire ;
Rien ne vous en sauvera :
Ce que je ne pourrai faire,
Un plus heureux le fera.
Tout aime dans la nature :
Dans le barbare séjour
Où règne l'âpre froidure
On sent les feux de l'amour.
Le temps, d'une aile légère,
Emportera loin de vous
Cette beauté passagère,
Dont les charmes sont si doux.
Lors, d'une vaine sagesse
Reconnaissant les abus,
Vous prendrez de la tendresse,
Et vous n'en donnerez plus.
En tout temps l'amour nous dompte ;
On règle en vain ses désirs :
Vous aurez, à votre honte,
Ses peines sans ses plaisirs.
Craignez sa juste colère,
Et, par un doux repentir,
Epargnez-vous, ma bergère,
Les maux qu'il me fait sentir.
Aimez un amant fidèle,
Quoi qu'en dise la raison :
Jeune Iris, tant qu'on est belle,
Elle n'est pas de saison.
Contre un amant qui sait plaire
Elle perd toujours son temps :
Croyez-moi, faites la taire
Encore quinze ou vingt ans.
Mettez votre coeur en proie
Aux amoureuses langueurs ;
Il n'est de solide joie
Que dans l'union des coeurs.
Ainsi, d'un air agréable,
Philène, ce beau berger,
Aux belles si redoutables,
La pressait de s'engager.
Les oiseaux, le doux zéphyr,
Et les échos d'alentour,
Comme lui semblait lui dire :
Rien n'est si doux que l'amour."
Mais le coeur de l'inhumaine
Se taisait obstinément.
Quand le coeur se tait, Climène,
Tout parle inutilement.
8/ LES SONGES, LES ATOMES
Elle - Oh !... Le risque est pour moi plus grand
que vous n'en avez la moindre idée...
Dieu puisse pardonner nos faiblesses.
- Avez-vous confiance dans vos songes ?
- Le monde est-il bien un ensemble d'atomes ?
- Qu'y avez-vous trouvé ?
- Oh, que de bassesses fait faire l'amour.
- Et qu'en est-il des artistes ?
9/ DE ROSE ALORS NE RESTE QUE L'EPINE
Ores est temps de vous donner conseil
Sur les périls où beauté vous expose.
Fille ressemble à ce bouton vermeil
Qu'en peu de jours on voit devenir rose.
Tant qu'est bouton on voudrait en jouir,
Nul ne le voit sans désir de rapine.
Dès que le Soleil l'a fait épanouir,
On n'en tient compte, un matin le ruine,
De rose alors ne reste que l'épine.
Lorsqu'un amant, l'exemple est tout pareil,
Fait voir désirs à qui pudeur s'oppose,
Si l'on ne fuit, l'amour est un soleil,
Point n'en doutez par qui fleur est éclose.
Alors en bref on voit s'évanouir
Transports et soins, par qui fille peu fine
Présume d'elle et se laisse éblouir.
Méprise succède à l'amour qui décline,
De rose alors ne reste que l'épine.
Plus de commerce avec le sommeil,
Ou si parfois un moment on repose,
Songe cruel donne fâcheux réveil ;
Cent et cent fois on en maudit la cause.
Voir on voudrait dans la terre s'enfouir
Tendre secret duquel on s'imagine,
Qu'un traître ira le monde réjouir
Parle-t-on bas, on croit qu'on le devine :
De rose alors ne reste que l'épine.
10/ INFLAMMABLE
Aussitôt les esprits fixes et végétales,
Les mouvements fuligineux,
Rendent les esprits transpirables,
Et ces sources intarissables,
Où la nature puise la force et les feux,
En d'autres sources transmuables,
Tous les principes limoneux.
11/ ENTRE DEUX DRAPS
Lui - Entre deux draps de toiles belle et bonne,
Que très souvent on rechange, on savonne,
La jeune Iris au coeur sincère et haut,
Aux yeux brillants, à l'espoir sans défaut,
Jusqu'à midi volontiers se mitonne.
Je ne combats de goûts contre personne,
C'est demeurer seule plus qu'il ne faut
Entre deux draps.
Elle - Quand à rêver ainsi l'on s'abandonne,
Le traître amour rarement le pardonne,
Quand une fille avec son coeur rayonne
Elle & Lui - Quand à rêver ainsi l'on s'abandonne,
Le traître amour rarement le pardonne,
A soupirer on s'exerce bientôt,
Et la vertu soutient un grand assaut.
Quand une fille avec son coeur rayonne
Entre deux draps.
12/ BAGATELLES
Il veut de moi des bagatelles
Il en aura
Tant qu'il voudra des plus nouvelles
Il en aura
Je m'en vais quitter ma paresse
Lui marquer respect et tendresse
Mais si vous devenez jaloux
Il faudra s'en prendre à vous
13/ LES ATTRAITS
Sous le débris de vos attraits
Voulez-vous demeurer toujours ensevelie ?
M'a dit quelqu'un, d'un nom que par raison je tais,
Qui s'est imaginé que ma mélancolie
Vient moins d'une santé dès longtemps affaiblie,
Que du reproche amer qu'en secret je me fais,
De n'être plus assez jolie
Pour faire naître encore quelque tendre folie ;
Frivole honneur, sur quoi je ne comptais jamais.
Sous le débris de vos attraits
Voulez-vous demeurer toujours ensevelie ?
14/ TAISEZ-VOUS
Taisez-vous tendres mouvements,
Laissez-moi pour quelques moments :
Tout mon coeur ne saurait suffire
Aux transports que l'amour m'inspire
A quoi servent ces sentiments ?
Dans mes plus doux emportements
Ma raison vient toujours me dire,
Mais taisez-vous.
Pour le plus parfait des amants
Mais taisez-vous.
Elle - Pensez-vous toujours qu'il faut choisir
d'être imbécile pour être heureux ?
La cruelle depuis deux ans...
Mais hélas ! quels redoublements
Sens-je à mon amoureux martyre ?
Mon berger paraît, il soupire :
Le voici, vains raisonnements,
Elle et Lui - Mais taisez-vous
Elle - ... et le redoutable amour ?
15/ BOBO
Chez moi ce n'est pas de même
J'ai toujours quelque bobo
Vous pouvez faire carême
Mais chez moi ce n'est pas de même
Vous n'êtes ni chagrin ni blême
Vous faites si bien dodo
Mais chez moi ce n'est pas de même
J'ai toujours quelques bobo
16/ SINCERE LANGAGE
Il n'est de sincère langage,
Il n'est de liberté que chez les animaux.
L'usage, le devoir, l'austère bienséance,
Tout exige de nous des droits dont je me plains ;
Et tout enfin du coeur des perfides humains
Ne laisse voir que l'apparence.
17/ BYE BYE
Lui - Alors, ça vous a plu ?
Elle - Ouais, sympa
Lui - Vous parliez ainsi au XVIIème ???
Elle - Ouais, c'était sympa ... enfin dur mais sympa, le XVIIème !
Lui - Vous partez pour de bon ?
Elle - Oh à tout prendre.
Lui - Vous donnerez le bonjour à Corneille !
Elle - Oui je n'y manquerai pas. Au revoir mon ami !
Lui - Au revoir Antoinette ! Au revoir !